vendredi 6 décembre 2019

L’accessibilité de l’économie au grand public comme déterminant de la compréhension et de la légitimation des choix politiques de nos gouvernants


A partir des années 50, les leçons tirées de la grande dépression économique de 1930 ont orienté les économistes vers l’élaboration de paradigmes d’encadrement de l’intervention de l’Etat promue par les solutions préconisées par John Maynard Keynes (1936). Entre temps, la chute du communisme et l’incrustation inexorable d’une économie de marché globalisée, ont mené à une emprise accélérée de la propriété privée sur les économies. Cette tendance a fini par recentrer les Etats dans le rôle de régulateur et les ont confinés dans d’élaboration des politiques économiques.

Toutefois, l’économie n’est ni au service de la propriété privée et des intérêts individuels, ni au service de ceux qui voudraient utiliser l’Etat pour imposer leurs valeurs ou faire prévaloir leurs intérêts. Les gouvernants sont élus, et une forme de rationalité politique les incitent à déterminer des choix collectifs pouvant être en déphasage avec l’intérêt commun. L’intérêt individuel et l’intérêt général divergent dès que le libre arbitre d’un individu va à l’encontre des intérêts des autres, mais ils convergent en partie derrière le voile de l’ignorance. Le raisonnement de l’économiste est de voir comment concilier l’intérêt individuel et l’intérêt collectif dans le sens du bien commun, dont la recherche prend pour critère le bien-être derrière le voile de l’ignorance.

On a les politiques économiques que l’on mérite et sans culture économique du grand public, faire les bons choix demande beaucoup de courage politique. Selon Jean Tirole (2016) (Prix Nobel d’Economie en 2014) : « Les politiques hésitent en effet à adopter des politiques impopulaires car ils craignent la sanction électorale qui pourrait s’ensuivre. En conséquence, une bonne compréhension des mécanismes économiques est un bien public : je voudrais que les autres fassent l’investissement intellectuel pour inciter les décideurs politiques à des choix plus rationnels, mais je ne suis pas prêt à faire l’effort moi-même. En l’absence de curiosité intellectuelle, nous adoptons un comportement de passager clandestin (de free rider) et n’investissons pas assez dans la compréhension des mécanismes économiques. Nous sommes tous responsables de notre compréhension limitée des phénomènes économiques induite par notre volonté de croire ce que nous voulons croire, notre relative paresse intellectuelle et nos billets cognitifs. Car nous avons les capacités de comprendre l’économie – comme je l’ai observé, les erreurs de raisonnement sont loin d’être expliquées par le quotient intellectuel et le niveau d’instruction. Avouons-le, il est plus facile de regarder un film ou de dévorer un bon polar que de s’atteler à la lecture d’un livre d’économie. Comme dans tout domaine scientifique, aller au-delà des apparences nécessite plus d’efforts, moins de certitudes et plus de détermination dans la quête de la compréhension ».      

Cette remarque-suggestion de Jean Tirole évoque un mal mondialement partagé et plus particulièrement en Afrique. Au Sénégal, l’ère du numérique, des réseaux sociaux et des multiples accès audiovisuels ont profondément amenuisé le temps consacré à la documentation et à la lecture. Cela dépeint de plus en plus sur le niveau des élèves et des étudiants en général. Malheureusement, la plupart des supports audiovisuels se fourvoient dans le sensationnel, les faits divers, le folklorisme et les émissions et séries télévisées d’abrutissement de la jeunesse.

Sur le plan de l’enseignement des sciences économiques, Jean Tirole ajoute ce raisonnement qui peut être appliqué avec plus de vigueur au Sénégal et à toute l’Afrique francophone : « La grande majorité des français poursuivant des études supérieures se spécialisent après le baccalauréat. Une absurdité bien sûr : comment peut-on à 18 ans décider de devenir économiste, sociologue, juriste ou médecin alors que qu’on a eu aucun ou très peu de contacts avec la discipline ? Sans parler du fait que les vocations peuvent arriver sur le tard. La spécialisation prématurée des étudiants implique aussi que très peu assistent à un cours d’économie. Alors que les étudiants de toutes disciplines devraient prendre des cours d’économie, même s’ils referont plus par la suite ».        

Vivement l’intégration des cours d’économie dès le collège au Sénégal.

PS : Récit inspiré par l’ouvrage de Jean Tirole (2016), Economie du bien public, PUF.

Dr Elhadji Mounirou NDIAYE, économiste.
Université de THIES.