A partir des années 50, les leçons tirées de la grande
dépression économique de 1930 ont orienté les économistes vers l’élaboration de
paradigmes d’encadrement de l’intervention de l’Etat promue par les solutions
préconisées par John Maynard Keynes (1936). Entre temps, la chute du communisme
et l’incrustation inexorable d’une économie de marché globalisée, ont mené à
une emprise accélérée de la propriété privée sur les économies. Cette tendance
a fini par recentrer les Etats dans le rôle de régulateur et les ont confinés dans
d’élaboration des politiques économiques.
Toutefois, l’économie n’est ni au service de la
propriété privée et des intérêts individuels, ni au service de ceux qui
voudraient utiliser l’Etat pour imposer leurs valeurs ou faire prévaloir leurs
intérêts. Les gouvernants sont élus, et une forme de rationalité politique les
incitent à déterminer des choix collectifs pouvant être en déphasage avec l’intérêt
commun. L’intérêt individuel et l’intérêt général divergent dès que le libre
arbitre d’un individu va à l’encontre des intérêts des autres, mais ils
convergent en partie derrière le voile de l’ignorance. Le raisonnement de
l’économiste est de voir comment concilier l’intérêt individuel et l’intérêt
collectif dans le sens du bien commun, dont la recherche prend pour critère le
bien-être derrière le voile de l’ignorance.
On a les politiques économiques que l’on mérite et
sans culture économique du grand public, faire les bons choix demande beaucoup
de courage politique. Selon Jean Tirole (2016) (Prix Nobel d’Economie en 2014) :
« Les politiques hésitent en effet à
adopter des politiques impopulaires car ils craignent la sanction électorale
qui pourrait s’ensuivre. En conséquence, une bonne compréhension des mécanismes
économiques est un bien public : je voudrais que les autres fassent
l’investissement intellectuel pour inciter les décideurs politiques à des choix
plus rationnels, mais je ne suis pas prêt à faire l’effort moi-même. En
l’absence de curiosité intellectuelle, nous adoptons un comportement de
passager clandestin (de free rider) et n’investissons pas assez dans la
compréhension des mécanismes économiques. Nous sommes tous responsables de
notre compréhension limitée des phénomènes économiques induite par notre
volonté de croire ce que nous voulons croire, notre relative paresse
intellectuelle et nos billets cognitifs. Car nous avons les capacités de
comprendre l’économie – comme je l’ai observé, les erreurs de raisonnement sont
loin d’être expliquées par le quotient intellectuel et le niveau d’instruction.
Avouons-le, il est plus facile de regarder un film ou de dévorer un bon polar
que de s’atteler à la lecture d’un livre d’économie. Comme dans tout domaine
scientifique, aller au-delà des apparences nécessite plus d’efforts, moins de
certitudes et plus de détermination dans la quête de la
compréhension ».
Cette remarque-suggestion de Jean Tirole évoque un mal
mondialement partagé et plus particulièrement en Afrique. Au Sénégal, l’ère du
numérique, des réseaux sociaux et des multiples accès audiovisuels ont
profondément amenuisé le temps consacré à la documentation et à la lecture.
Cela dépeint de plus en plus sur le niveau des élèves et des étudiants en
général. Malheureusement, la plupart des supports audiovisuels se fourvoient
dans le sensationnel, les faits divers, le folklorisme et les émissions et
séries télévisées d’abrutissement de la jeunesse.
Sur le plan de l’enseignement des sciences
économiques, Jean Tirole ajoute ce raisonnement qui peut être appliqué avec
plus de vigueur au Sénégal et à toute l’Afrique francophone : « La grande majorité des français
poursuivant des études supérieures se spécialisent après le baccalauréat. Une
absurdité bien sûr : comment peut-on à 18 ans décider de devenir
économiste, sociologue, juriste ou médecin alors que qu’on a eu aucun ou très
peu de contacts avec la discipline ? Sans parler du fait que les vocations
peuvent arriver sur le tard. La spécialisation prématurée des étudiants
implique aussi que très peu assistent à un cours d’économie. Alors que les
étudiants de toutes disciplines devraient prendre des cours d’économie, même
s’ils referont plus par la suite ».
Vivement l’intégration des cours d’économie dès le
collège au Sénégal.
PS : Récit inspiré par l’ouvrage de Jean Tirole
(2016), Economie du bien public, PUF.
Dr Elhadji Mounirou NDIAYE, économiste.
Université de THIES.
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