mardi 25 décembre 2012

La Gazette du 09/10/2012 (www.lagazette.sn)

Entretien avec Dr El hadji Mounirou NDIAYE, économiste, Chef du département de Sciences économiques et de gestion de l’Université de Thiès.
« Les travaux consécutifs aux inondations seront sources de relance de la consommation et de la croissance économique. »
mardi 9 octobre 2012
La croissance, la croissance, la croissance. » En ces temps de morosité économique, les autorités sénégalaises aimeraient bien entonner ce refrain du Général de Gaulle. Pour ces dernières, le retour d’une croissance forte serait synonyme de réduction du chômage et de bien être pour les Sénégalais (peut être aussi d’accentuation des inégalités). Mais par quelle magie espère-t-on relever la croissance ? Peut-on l’attendre des inondations ? Autrement dit, dans un pays où les investissements publics et la consommation sont les principaux leviers de la croissance, consacrer des ressources substantielles de l’État à la recherche de solutions structurelles aux récurrentes inondations peut il être facteur de croissance ? Les réponses dans cet entretien avec Dr El hadji Mounirou NDIAYE, économiste, Chef du département de Sciences économiques et de gestion de l’Université de Thiès.
Y’a-t-il un lien de causalité entre les catastrophes naturelles -les inondations pour le cas du Sénégal- et la croissance ?
A ce niveau, les avis des économistes sont partagés selon qu’on est dans une vision hétérodoxe ou orthodoxe. Les économistes hétérodoxes, apparentés à la gauche et aux écologistes, considèrent que la croissance économique démesurée est la cause des dérèglements climatiques qui provoquent les catastrophes naturelles. Les orthodoxes, apparentés aux ultralibéraux ont défendu que le marché est autorégulateur et que la nature va se remettre des griffes de la croissance. Or la réalité est tout autre : la croissance est accompagnée d’une dilapidation des ressources naturelles et d’une pollution démesurée source de dérèglements climatiques. Néanmoins, malgré les immenses richesses créées dans le monde, plus que suffisantes pour assurer un bien être planétaire, la pauvreté continue de ronger plus de 2 milliards d’individus. Il se pose un problème de répartition et de prise en compte des générations futures, sans oublier que l’humanité est menacée. C’est dans ce contexte qu’est né le concept de développement durable, c’est-à-dire, un développement sur mesure, permettant aux générations actuelles de satisfaire à leurs besoins sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire aux leurs. Et comme, c’est l’existence de l’Homme qui est en jeu et que les exigences de répartition et d’équité sont ignorées, les économistes hétérodoxes considèrent qu’il faut maîtriser la croissance en préservant l’environnement. C’est pourquoi l’écologiste français Yves Paccalet a publié en 2006 un livre intitulé « L’humanité va disparaître. Bon débarras », dans lequel il propose la décroissance et le partage. Je suis d’accord avec ces positions écologistes même si je suis plus en phase avec les idées néolibérales, notamment sur la création des richesses, à fortiori dans un pays aussi pauvre que le Sénégal.
Ainsi, la croissance est grandement responsable des catastrophes naturelles, même si dans le cas du Sénégal, aussi bien l’autorité publique que les populations ont péché dans leur anticipation sur l’avenir depuis l’indépendance. Les plans d’urbanisme et d’aménagement n’ont pas été respectés et l’assainissement est quasi inexistant sur une grande partie du pays. A part cette part de responsabilité, les dérèglements climatiques à l’origine des pluies diluviennes sont causées par les grandes puissances qui ont de grandes industries polluantes qui sont les premières interpellées dans la recherche d’une solution globale. Mais il faut déplorer les maigres résultats glanés périodiquement à l’issue des sommets sur l’environnement.
Pensez-vous que l’injection des fonds qui devaient alimenter le Sénat et ceux prévus pour le plan décennal dans la reconstruction suite aux inondations peut être favorable à la croissance et par quels mécanismes ?
Le budget voté pour le Sénat au titre de l’année 2012 n’est que 7 milliards de FCFA. Cet argent, ajouté aux fonds de solidarité collectés récemment et le budget du plan décennnal, pourra aider l’Etat au recasement des sinistrés. Je suis d’accord avec le Premier Ministre Abdoul MBAYE qui est d’avis que la logique Jaxaay doit être poursuivie. C’est une question sociale qu’il faut régler comme telle, en activant tous les leviers institutionnels de la solidarité nationale, comme cela se fait dans les autres pays. C’est en macroéconomie ce qu’on appelle des transferts, qui sont un véritable levier de relance de la consommation. Les sénégalais ont puisé sur leurs épargnes oisives pour venir en aide aux sinistrés, je trouve que les fonds collectés sont faibles et on aurait pu avoir beaucoup plus avec une meilleure organisation, une communication et une bonne argumentation. Toutefois, la mobilisation de ces dons au service des sinistrés va permettre au moins une augmentation du PIB du même montant, c’est que je peux appeler un effet Haavelmo.
Concernant les investissements publics, l’économiste John Maynard Keynes a montré qu’ils peuvent être un bon mécanisme de relation du PIB si cela ne fait pas l’objet de beaucoup d’importations. A ce sujet des inondations, l’Etat doit ficeler un programme quinquennal d’assainissement du Sénégal par une dotation budgétaire de 75 à 80 milliards FCFA annuels. C’est la seule solution. Il faut assainir et se mettre à l’écart des mers et autres points d’eau en anticipation aux catastrophes à venir. Les écologistes prévoient dans les prochaines décennies une grande avancée de l’érosion marine et la montée des océans, ce qui constitue une forte menace pour le delta du Sénégal. Certains parlent d’un exode de plus de 500 000 personnes dans les prochaines années et pour eux, le déplacement des villages et populations vers des points “hauts” serait une bonne anticipation.
L’assainissement va, non seulement, permettre de venir à bout des inondations, mais aussi de les prévenir et d’améliorer le cadre de vie des Sénégalais avec un recul net de certaines maladies. Les travaux inhérents à ces programmes seront sources de marchés pour plusieurs entreprises satellites, et donc de distribution de revenus, de création d’emplois et de relance de la consommation et de la croissance économique.
Les inondations en entrainant l’arrêt de nombreuses activités productrices de richesses ne constituent-elles pas plutôt une perte de capacité de production future et une perte de croissance ?
C’est vrai qu’il y aura une baisse de productivité chez les travailleurs sinistrés et certaines unités de production sont touchées. Mais cela n’a pas encore d’incidences négatives très significatives sur les créations de richesses. Toutefois, la persistance du problème, le retard des interventions et le défaut d’anticipation pourront nous exposer dans quelques années devant des déconvenues économiquement très compromettantes.
L’effet économique des inondations est-il le même si les opérations de reconstruction sont financées à crédit ou prélevées sur le budget en amputant d’autres secteurs ?
Les opérations de reconstruction et d’assainissement rentrent dans le cadre général du fonctionnement de l’Etat. N’oublions pas que l’assainissement du Sénégal est un projet courant qui figure dans les missions de l’Etat, mais qui tarde à être réalisé. Je pense que la nouvelle logique adoptée par le président Macky SALL est prometteuse : en éliminant les dépenses inutiles de l’Etat, en réduisant le train de vie de l’Etat et en redoublant d’effort dans le recouvrement fiscal, l’Etat dispose de niches importantes de recettes pouvant lui permettre de faire faxe à ces défis sans augmenter la dette à ce niveau. N’oublions pas également, que le régime d’Abdoulaye WADE était financièrement intenable.
Est-ce que les mesures économiques prises à la suite de ces inondations n’auraient pas engendré une croissance supplémentaire si les mêmes mesures avaient été prises sans l’occurrence de la catastrophe ?
Bien évidemment. Les inondations ont causé des dégâts importants. Le Ministre de l’intérieur a récemment avancé le chiffre de 4 milliards de FCFA de dégâts et c’est même plus si on prend en compte les pertes de temps et de production. S’il n’y avait pas d’inondation, le Sénégal serait encore riche du montant de ces dégâts et des fonds alloués au recasement des sinistrés. Tout ce qu’on aurait à faire, c’est l’assainissement et les anticipations. Mais néanmoins, il n’y aurait pas ces fonds de solidarité collectés, qui comme je l’ai dit plus haut, auront une incidence positive sur la consommation.
 
Mamby DIOUF (La Gazette, www.lagazette.sn)

Aucun commentaire: